M. Hamon, pourquoi copiez-vous Darcos plutôt que Jospin ?
Mes réactions au texte à paraître
Claire Leconte
Quel drôle de pays que la France qui s’obstine à chercher des solutions sur des problèmes qu’elle est seule à se créer. Aucun autre pays au monde ne se préoccupe des « rythmes scolaires », pour améliorer le fonctionnement de l’école. La France est focalisée là dessus depuis des décennies, tout en ne trouvant jamais le bon « rythme », parce qu’elle ne le cherche pas là où il faudrait le chercher.
Tout comme j’ai pu l’écrire en 1998,[1] Sue et Caccia (2005)[2] mettent en garde contre la tentation de limiter le traitement des questions de rythmes scolaires à la seule approche de la chronopsychologie : « Il ne s’agit pas d’attribuer à la chronopsychologie des pouvoirs miraculeux pour lutter contre l’échec scolaire. » Pour eux, il faut aussi « éduquer les enfants pour qu’ils sachent eux-mêmes à quels moments ils sont fatigués et qu’ils puissent l’exprimer ». Ce que pourtant, n’a pas manqué de faire Vincent Peillon.
On est aussi très frappé de constater que les ministres se suivent et reprennent sans cesse les mêmes recettes qu’ils espèrent miraculeuses pour une meilleure réussite des élèves, mais sans jamais se préoccuper des travaux antérieurs qui ont pu être conduits et apporter des conclusions utiles.
J’ai ainsi de nombreux rapports de recherche qui ont été régulièrement remis aux ministères, qui, s’ils avaient été lus, auraient évité de recommencer les mêmes erreurs qu’antérieurement.
Par ailleurs, il me semble que les ministres auraient aussi pu s’inspirer du travail d’analyses mené par Kassimi, de Peretti et Bautier,(1999) [3]. En voici quelques extraits :
« Depuis une quinzaine d’années, quand on parle d’amélioration du fonctionnement de notre système éducatif la question de l’aménagement des rythmes scolaires refait régulièrement surface. (…..) . Tous s’accordent à dire que la répartition déséquilibrée des enseignements sur la journée, la semaine et l’année engendre ou (sur)ajoute à la fatigue des élèves, fatigue qui agit sur l’efficacité des apprentissages. Cependant, derrière ce constat d’évidence on peut s’interroger sur la nature des relations qui se tissent dans les différents discours entre fatigue, rythmes scolaires et apprentissages.
Il semble que si depuis 1990 les objectifs assignés à la politique d’aménagement des rythmes scolaires ont été stabilisés, outre le flou qui les caractérise et dont nous avons déjà parlé, rien ou presque n’est dit sur la nature des relations nouant les objectifs. Doit-on comprendre que le respect des rythmes de vie des enfants et des jeunes leur assurera développement harmonieux et réussite scolaire ? Ici, la juxtaposition risque de tenir lieu de relation causale qui elle-même relève de l’évidente équation : meilleurs rythmes = meilleurs résultats scolaires. L’analyse des circulaires révèle donc que la politique relative aux rythmes de vie des enfants repose sur un allant de soi. ».
Un peu plus loin, à propos des populations concernées :
« Il semble donc qu’il y ait un grand trouble quant à l’identification des populations concernées par la politique ARS. (….). Au vu des textes, c’est une politique qui concerne tout le monde mais qui est plus " efficace " avec les pauvres. Cependant, étant donné le flou des objectifs assignés à cette politique, on peut se demander de quelle efficacité il s’agit, à quels résultats il est fait référence puisque toutes les évaluations précédemment menées ont montré qu’il ne s’agit pas de résultats scolaires. »
« Ainsi, s’il semble que l’ARS permette à de nombreux élèves de pratiquer des activités sportives, culturelles… qu’ils n’auraient sans doute jamais pratiquées, avant de conclure à la réduction des inégalités encore faut-il s’interroger sur la nature des activités pratiquées et plus encore sur ce qui se joue, sur ce qui est mobilisé par les élèves pendant l’activité. »
Quant à l’aspect politique du problème, voic quelques constats déjà faits en 1999 :
« Nombreux sont les sites dans lesquels le projet d’ARS est instrumentalisé par les élus locaux à des fins plus ou moins directement liées à l’école. Un membre du comité d’évaluation d’Angoulême se demande même si " l’ARS ne représente pas une relative prise de pouvoir des collectivités locales sur l’école ". »
« Un autre site illustre quant à lui les risques de récupération politique auxquels est exposé le dispositif quand les représentants de l’État laissent le champ libre aux élus locaux. »
C’était exactement les raisons pour lesquelles j’avais demandé, lors des ateliers pour la concertation sur la refondation de l’école à l’été 2012, qu’on cesse de parler de « rythmes scolaires » et qu’on s’intéresse à l’aménagement des temps des enfants permettant de travailler sur la construction partenariale d’un projet éducatif, lui-même autorisant une réflexion de fond sur les contenus des temps ainsi que sur les pratiques et les méthodes pédagogiques mises en œuvre pour gérer au mieux des besoins des enfants l’ensemble de ces temps.
Outre le fait qu’il m’avait alors été renvoyé que le terme « rythmes scolaires » étant bien rentré dans la tête des gens, il valait mieux le conserver (même si personne ne sait ce qu’il signifie), je me demande aujourd’hui si en fait ce n’était pas un bon moyen d’occuper les esprits et leur faire croire ainsi qu’on s’intéressait vraiment à refonder l’école. J’avais en son temps accusé Luc Châtel « de surmédiatiser un problème mal posé pour mieux masquer la destruction programmée de l’école républicaine », mais j’en suis à me demander si la même pièce n’est pas en train de se rejouer.
Par exemple, pourquoi le gouvernement actuel, dit de gauche, donc en principe avec d’autres valeurs pour défendre l’école publique française que le gouvernement précédent dont le seul objectif était de récupérer des postes, s’obstine-t-il à copier le décret Darcos plutôt que de reprendre les textes Jospin ?
Ce décret de 2008 disait : L’article 10-1 du décret du 6 septembre 1990 susvisé est modifié ainsi qu’il suit : V - Au sixième alinéa, les mots : “5 jours” sont remplacés par les mots : “9 demi-journées”.
Après la loi Jospin en 1989, dont l’article 1er déclare que « l’école favorise l’ouverture de l’élève sur le monde et assure, conjointement avec la famille, l’éducation globale de l’enfant », est paru le Décret no 91-383 du 22 avril 1991 relatif à l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires. Ce décret ajoute un article permettant des organisations dérogeant aux règles fixées par arrêté ministériel pour lesquelles les aménagements prévus ne peuvent avoir pour « de porter la durée de la semaine scolaire à plus de cinq jours ».
Il est ensuite rappelé[4] que l’organisation du temps scolaire étant essentielle pour la réussite des élèves, elle doit avant tout être basée sur des critères pédagogiques et faciliter les apprentissages. « Il convient, cependant, de rappeler que tout enfant a un rythme de vie propre qui n’est pas seulement limité au temps scolaire .
Afin d’éviter toute surcharge du temps de l’enfant, plus global que le temps de l’élève, l’organisation du temps scolaire doit tenir compte, dans la mesure du possible, de ce temps plus personnel, hors de l’institution scolaire ».
Lors des ateliers de concertation, j’avais rappelé que le temps scolaire ne représente que 10% du temps de vie de l’enfant, qu’il était donc important de s’intéresser aussi aux autres temps de vie de cet enfant, ne serait-ce qu’à la régularité de son rythme veille-sommeil. J’avais alors été bien chambrée par la co-présidente de l’atelier qui m’avait dit qu’elle me promettait qu’on inscrirait dans le rapport pour le projet de loi qu’une formation sur les rythmes des enfants devraient être donnée aux familles ! Soit ! C’est exactement ce que j’ai fait depuis 15 mois à des dizaines de milliers de personnes reconnaissant leur ignorance.
En 1995 Jacques Chirac, élu président, décide de satisfaire rapidement une de ses promesses de campagne, « réformer les rythmes scolaires ». Il charge son ministre Jeunesse et Sports de ce dossier, qui très rapidement fait co-signer par François Bayrou, ministre de l’éducation nationale, et Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, une circulaire parue en octobre 1995 lançant des expérimentations relatives aux rythmes scolaires.
L’instruction N° 97 – 018 JS, publiée pour la rentrée 1997-1998 et permettant d’instruire les dossiers de candidature pour être « sites pilote », pointait comme critère de labellisation le fait de respecter que « la semaine scolaire soit organisée sur au moins cinq jours ».
Ça n’est donc que le décret Darcos qui a cru bon revenir sur ce découpage de la semaine et décider de la découper en 9 demi-journées. Pourquoi ?
D’autant que deux ans plus tard, un rapport parlementaire co-rédigé par Yves Durand (rapporteur de la loi de refondation de l’école de Vincent Peillon) écrivait : « On peut toutefois se demander si une organisation en demi-journées ne tendrait pas à rigidifier la gestion du temps scolaire, à la différence d’un système dans lequel les enseignements et les autres activités pourraient être répartis librement du lundi au vendredi, voire au samedi.
Les avantages d’une semaine scolaire de cinq jours ne seraient pas négligeables en effet ».
… « D’autre part, sur le plan éducatif, l’école à la journée a pour ambition de développer des compétences chez l’élève (« individuelle, méthodologique, sociale, etc. »), en alternant l’enseignement et les activités périscolaires, de façon à ne pas séparer la socialisation de la pédagogie, et en faisant ainsi de l’école un « lieu de vie » et non de cours. »
De fait qui a un jour entendu parler de semaine de 8 demi-journées pour évoquer la semaine de 4 jours ?
La proposition de texte de Benoit Hamon ne s’intéresse à nouveau qu’à des aspects quantitatifs, d’horaires, d’emplois du temps, et nullement à ce qu’un ministère de l’Éducation nationale devrait faire, à savoir quels contenus, pour quoi faire et comment ?
Comment utiliser au mieux les temps strictement scolaires pour qu’ils permettent aux enseignants de se repositionner dans leurs pratiques et méthodes d’apprentissage, dans les systèmes d’évaluation également, afin de développer chez chaque enfant le désir d’apprendre, le plaisir d’apprendre, de comprendre, de découvrir, développer sa motivation intrinsèque au final.
Le décret du 24 janvier 2013, dit décret Peillon, avait aussi une approche totalement quantitative, le seul objectif apparaissant clairement étant « d’alléger la journée d’enseignement ».
Je me dois ici de dire qu’en 1969, une modification conséquente a été faite par Olivier Guichard, alors ministre de l’éducation nationale, puisqu’il a ramené la durée de la semaine scolaire de 30h à 27h et a supprimé le samedi après-midi de classe. On ne parle pas alors du tout de « rythmes scolaires ». L’arrêté du 2 août 1969 a comme objet « l’aménagement de la semaine scolaire et la répartition de l’horaire hebdomadaire dans les écoles élémentaires et maternelles». Il s’appuie sur les textes de 1887 pour redéfinir l’organisation de la journée et de la semaine, mais sans le contraindre dans le texte, signifiant simplement que les horaires des disciplines maths et français seront groupées de préférence pendant les matinées. Mais la circulaire d’application en date du 2 septembre 1969 révèle une réelle ambition pour ce changement : Il y est dit qu’il faut repérer dans ce texte les dispositions qui, en définissant de nouveaux horaires, ouvrent la voie à une transformation graduelle de l’enseignement préscolaire et élémentaire. Il dit encore que l’arrêté présente un nouvel horizon conforme aux vœux de la commission ministérielle de rénovation pédagogique : il n’impose pas une transformation subite et générale qui ne tiendrait compte ni des possibilités diverses d’attention des élèves suivant leur âge, ni de la structure des classes, ni des contingences du milieu de vie des enfants. (…) Des aménagements seront nécessaires avant de parvenir à une application stricte d’un texte qui vaut surtout pour l’ouverture qu’il offre à l’imagination créatrice des maîtres et à la recherche pédagogique !
Faire tomber les cloisons étanches qui avaient pu être établies entre les diverses disciplines , dépasser la notion contraignante de programme, voilà ce qui semble possible et souhaitable dans une école en train de se réformer !(….)
C’est donc à un mouvement novateur d’expérimentation et de recherche que l’arrêté du 7 août 1969 souhaite donner l’élan. (…)
En d’autres termes, l’arrêté du 7 août 1969 n’est pas une mesure rigide sacrifiant à un modernisme incontrôlé ; c’est, dans son laconisme, un texte propre à engendrer le mouvement et à permettre le progrès pédagogique grâce à des adaptations successives pour le plus grand bien des élèves dont l’enseignement préscolaire et élémentaire a la responsabilité.
Et bien je n’ai rien trouvé de cela ni dans le décret Peillon ni dans le texte en cours de rédaction de Benoit Hamon, on ne s’intéresse qu’au nombre de jours dans l’année, moindre que dans les autres pays.
Dans ce texte on voit encore que les temps de récréation (10 mns chacune) sont prélevés sur chacun des 4 groupes principaux de disciplines. Au CP et CE 2 récréations sont prévues le matin et 2 l’après-midi, soit 3 h au total. Au CM une seule récréation sera prévue pour chaque demi-journée soit 1h ½ au total.
Pense-t-on vraiment qu’on a beaucoup évolué en ce qui concerne la gestion des temps des enfants ?
Car plus fort encore que M. Peillon, M. Hamon prétend assouplir alors qu’il rigidifie le découpage. Est-on conscient qu’il faut remonter au texte de 1887 organisant de manière nationale la journée scolaire pour trouver un découpage en 3h le matin et 3h l’après-midi déjà en place depuis 1834 ?
Le gouvernement actuel nous a vendu une refondation de l’école, et pour ce faire, il retourne aux textes de 1887 pour « réformer » le temps scolaire ! On croit rêver ! La question que je me pose dès lors, et qui fait suite à des échanges que j’ai pu avoir précédemment avec le Directeur Général de l’Enseignement Scolaire entre autres, est : « le ministère a-t-il si peu confiance dans les enseignants et leur capacité à gérer de façon autonome l’organisation de leurs temps scolaires qu’il se sent obligé de redéfinir des cadres stricts (qui n’en sont pas au final puisque dans tous les emplois du temps que j’ai vus chacun s’approprie comme il lui chante le découpage imposé) en découpant la semaine en demi-journées et qui plus est, en fixant des bornes à chacune de ces demi-journées ? ». La question de la rigidification de la demi-journée à 3h30 (dérogatoire dans le texte Peillon) a été posée à la conseillère de Benoit Hamon, la même que celle de Vincent Peillon. Sa réponse fut que des nutritionnistes lui auraient dit que plus de 3h30 n’est pas tenable pour les enfants. Deux questions dès lors : le ministère aurait-il donc changé d’experts nutritionnistes en changeant de ministre ? Comment font les enfants alsaciens, mais aussi lillois, ou encore spinaliens, munstériens, moulinois, qui depuis très longtemps travaillent sur des matinées de 4 h ? Sans compter tous les enfants de nombre de pays d’Europe et du monde qui travaillent ainsi depuis … toujours !
Quelle autre raison si non ? On aimerait la connaître.
De nombreuses études ont montré que l’une des difficultés actuelle de tous les enfants est leur incapacité à maintenir leur attention qui doit être reconquise par les enseignants. Ce ne peut se faire que si ces enfants perçoivent un réel intérêt dans les apprentissages qu’on leur fait faire, intérêt qui ne doit pas être que scolaire, mais aussi si ils se sentent participants, « acteurs de leurs apprentissages » comme le disait déjà Freinet. Cela nécessite d’autres organisations des temps scolaires que celles qui continuent de découper ces temps sur le plus de demi-journées possibles. Paul Fraisse (1975) a pourtant bien montré que l’intérêt pour une activité est dépendant de la durée de cette activité : « La durée apparente des tâches décroit à mesure que les activités sont moins morcelées, c'est-à-dire les changements moins nombreux (...). Plus une tâche a d'unité, plus elle risque de paraître intéressante. L'unité renforce la motivation (...). Plus une tâche a une unité, plus elle paraît courte ».
Ce pour quoi nous avons pu montrer que cinq longues matinées de 4 heures autorisent cette mobilisation attentionnelle. Non Monsieur Hamon, contrairement à ce que vous pensez ou qu’on vous fait penser, l’attention des enfants et leur disponibilité aux apprentissages ne se situent pas qu’entre 9h et 11h, mais cela dépend fortement de la qualité de l’organisation pédagogique des différentes séquences d’apprentissage.
On a l’impression que le ministre répond d’abord à la fronde des communes qui ont déclaré refuser de partir en 2013, puisqu’il semble répondre entre autres aux demandes de communes de zones rurales qui ne peuvent recruter d’animateurs pour des ateliers très courts, ce que je ne vais pas contester puisque je n’ai sans cesse moi-même dit que libérer complètement des après-midis permet aux communes rurales de mutualiser le peu de ressources que chacune possède et de les mettre au service de tous les enfants de toutes les communes en ne libérant pas les mêmes après-midi.
Mais alors pourquoi bloquer les choses sur 8 demi-journées, avec qui plus est des matinées de pas plus de 3h30 ? Où est le problème pour les écoles qui depuis de très nombreuses années, fonctionnent sur des matinées de 4 h, comme ce fut le cas en Alsace entre autres ? Le ministre est-il allé voir dans les autres pays, d’Europe, mais aussi au Canada, en Afrique, etc, où les longues matinées de classe sont une habitude acquise depuis très longtemps ? En France on continue de penser que l’après-midi est équivalent à la matinée, alors que Binet, psychologue de l’enfant, disait en 1906 aux enseignants de « faire bénéficier leurs écoliers de la clarté mentale de la matinée » ! Car avec 8 demi-journées, si les matinées ne peuvent être que de 3h30, on aura alors encore forcément 3 AM de plus de deux heures d’enseignement. Et quelle durée pour l’après-midi d’activités ? 2h10 comme les autres ? donc pas trois heures d’activités comme initialement prévues.
Les enfants de maternelle en particulier perdent ainsi beaucoup de temps d’apprentissages, car les après-midi sont presque inutilisables. Mais les autres aussi puisque les travaux de Testu souvent pris en référence montrent bien que seuls les enfants de Cours Moyen voient leurs capacités attentionnelles en bonne reprise (quoi que pas forcément aussi bonnes que le matin) après le creux méridien.
Quand je dis penser au fait qu’on répond avant tout à la fronde des communes, c’est qu’il est aussi dit que des « adaptations du calendrier scolaire » pourront permettre à quelques communes de prévoir le report de quelques demi-journées de classe sur les vacances d’été : on pense là forcément à la demande émanant d’une députée de Haute Savoie, qui a obtenu que 8 mercredi entiers soient libérés au cours de la saison d’hiver pour permettre aux enfants des communes de Combloux, Megève, Praz sur Arly, entre autres, d’emmener leurs enfants, forcément les futurs champions français, faire du ski tout ce mercredi.
Mais alors, pourquoi accepter des adaptations particulières pour ces communes, plutôt que de leur souffler qu’elles pourraient faire l’école le samedi matin ! Et ne pas avoir ainsi à revenir une semaine plus tôt en août.
À côté de ces adaptations très particulières, pour des projets jugés par le ministre, « de qualité », on refuse les vrais projets de qualité construits par d’autres toutes petites communes de Haute Savoie mais qui elles, au contraire, veulent pouvoir faire découvrir à leurs enfants d’autres activités que le ski qu’ils font régulièrement. Mais ces activités nécessitent qu’on les emmène à l’extérieur de la commune, donc demandent du temps, et ces communes ont libéré deux après-midi pour se faire, les enseignants ayant réparti leurs 24 h au mieux des besoins des enfants, en particulier en renforçant les 5 matinées de classe.
Et ce qui est aussi assez choquant est de lire que visiblement ce travail demandé par les communes souhaitant expérimenter une autre organisation dans l’intérêt de leurs enfants, ne sera retenu que pour trois ans, et ensuite ? de plus des évaluations devront être menées (ce que je ne conteste pas, je suis la première à les réclamer, mais de vraies évaluations, pas celles au doigt mouillé consistant à demander aux maires s’ils sont satisfaits de ce qu’ils ont mis en place), pour prouver le bien-fondé d’une telle organisation alors que personne ne s’interroge sur celles mises en place sur 9 demi-journées, à la va-vite, en 2013 : pourtant le ministère aurait raison de s’inquiéter, car des emplois du temps où on ne met que deux heures le mercredi matin, pour ne pas rentrer en conflit avec les parents qui se plaignaient que leurs enfants perdent cette journée de repos, ceux où jamais rien de régulier ne se fait chaque jour, d’abord pour occuper plus longtemps les mêmes animateurs, mais au mépris le plus complet du bien-être des enfants, ou celles encore où on ne fait que deux très courtes après-midi pour donner du temps aux activités non scolaires, qui montrera que c’est vraiment mieux pour l’enfant ?
Une semaine de cinq jours, implique forcément l’obligation de cinq matinées, il n’est pas utile de le rappeler, mais cela donne aux enseignants la liberté de répartir leurs 24 h au mieux des besoins de leurs élèves, pas en restant sur la journée de l’écolier décidée en 1834.
On peut alors organiser ces 24 h sur 7, 8 ou 9 demi-journées, au choix des enseignants, des parents et des communes, mais on permet surtout à tous ceux qui veulent un vrai changement dans les méthodes d’apprentissage puissent les mettre en œuvre. Cela ne créera pas plus de disparités que celles qui existent aujourd’hui avec les 9 demi-journées où on voit même des emplois du temps différents d’une école à l’autre dans une même ville.
Alors pourquoi interdire cette liberté pédagogique ?
Mais a-t-on vraiment envie de faire que chaque enfant puisse réussir au mieux de ses potentialités ?
Pourquoi ne rappelle-t-on pas le rôle incontournable des parents dans l’éducation de leurs enfants, y compris leur responsabilité dans la nécessité, reconnue par beaucoup d’études récentes, de respecter le plus possible une régularité dans le rythme veille-sommeil de leurs enfants ? L ‘importance également du petit-déjeuner avant d’entrer en classe ?
Mais pourquoi aussi n’insiste-t-on pas sur la nécessité de construire de façon partenariale des projets éducatifs ayant du sens pour les enfants, alors que visiblement on laisse encore la liberté aux collectivités de mettre ou pas quelque chose en place respectant les besoins de chaque enfant et de chaque famille. Ce qui, évidemment, nécessiterait que l’état s’implique dans ces constructions de projets, ce que visiblement, il ne veut pas faire.
On ne va donc pas résoudre les différences territoriales déjà visibles actuellement.
Par ailleurs que dira ce texte pour les communes parties précipitamment en 2013 et souhaitant revenir sur le modèle mis en place ?
Le texte acceptera-t-il que des communes, forcément pas prêtes pour le mois de juin prochain, pour présenter un autre modèle nécessitant plus de construction partenariale, puissent présenter un tel projet pour la rentrée 2015 ? Ce serait bien le moins pour respecter l’égalité de traitement entre écoles.
Le décret Peillon aménageait à la marge l’organisation des emplois du temps scolaires, le texte de Benoit Hamon semble aller vers un aménagement à la marge du décret Peillon, en le rigidifiant même sur certains aspects.
Parviendra-t-on enfin, après les prochaines consultations, à voir un texte autorisant de réelles modifications allant dans le sens de l’intérêt des enfants, et ne continuant pas de mettre sur le côté des projets existants depuis des décennies et ayant largement fait leurs preuves quant à la satisfaction de l’ensemble des personnes concernées dont les enfants ?
Jean-Paul Delevoye, qui a présidé le Comité d’Évaluation et de Suivi de l’Aménagement des Rythmes de l’Enfant mis en place par ce ministère, écrit en 1999 : « Nos enfants sont notre vraie richesse, mais aujourd’hui comment assurer à chacun d’entre eux le maximum de chances voire de chances égales ? L’école de la rue et l’école parentale sont souvent en contradiction voire en opposition avec l’école républicaine qui ne peut suppléer ces défaillances sociétales. C’est pour cela que nous affirmons que notre réflexion sur l’aménagement du rythme scolaire est vouée à l’échec si elle ne s’inscrit pas dans le seul cadre qui vaille, « l’aménagement du rythme de l’enfant » pris dans sa globalité. [….]. Chaque vie a besoin d’un projet et il nous faut donner un sens à la vie. Ceci nous oblige à former nos enfants à être responsables et non dépendants : c’est tout le sens de la réflexion que nous vous livrons avec un seul objectif : l’enfant, son épanouissement et sa capacité demain à gérer ses propres choix, c’est-à-dire à être libre mais surtout à être libre dans la façon de vivre sa liberté ». (In ¨Pour une approche globale du temps de l’enfant », La Documentation Française, 1999, que je vous invite fortement à lire).
Dans la loi de Juillet 2013, on peut lire : « Si les problèmes les plus évidents se manifestent dans le second degré avec des élèves sortant précocement du système scolaire ou avec des élèves qui subissent leurs orientations, les difficultés scolaires se forment dès le premier degré.
A l'issue de leur scolarité à l'école primaire, on constate que 25 % des élèves ont des acquis fragiles et 15 % d'entre eux connaissent des difficultés sévères ou très sévères. »
Monsieur Hamon, les élèves évalués pour Pisa en 2012, (parues en 2013) avaient 15 ans à l’époque de leur évaluation, c’est dire que tous les apprentissages premiers nécessaires à la réussite au collège ont été faits à l’école primaire avant 2008, soit avec les programmes de 2002 et sur une semaine de 4 jours et demi. C’est donc un changement en profondeur dans l’école qui doit être fait. L’adaptation des méthodes d’enseignement et des objectifs aux besoins de l’élève, grâce à une réorganisation complète des temps de vie de l’enfant dont font partie les temps scolaires est fondamentale si on veut réellement voir des changements se produire dans le rapport de chaque enfant à l’école. Ce n’est certes pas qu’un changement d’horaires, pas même un allégement dans le nombre d’heures, qui permettra d’atteindre cet objectif.
Cela impose également une réflexion sur l’organisation des pauses (récréations, pause méridienne), des espaces qui vont avec, ne plus laisser les enfants s’énerver le matin dans la cour avant d’entrer en classe, etc,
Et ce n’est pas juste le fait d’avoir 8 demi-journées bloquant les matinées à 3h30 qui permettra la mise en route de ce chantier pour refonder l’école, pourtant urgent à mener.
Toujours dans cette loi, on lit que « Le premier enjeu de la refondation est essentiellement qualitatif. La qualité d'un système éducatif tient d'abord à la qualité de ses enseignants. » « De nombreuses études attestent l'effet déterminant des pratiques pédagogiques des enseignants dans la réussite des élèves. Enseigner est un métier exigeant qui s'apprend. »
M. Hamon, si réellement vous voulez, comme vous le déclarez régulièrement, remettre plus de justice et plus d’égalité au sein de l’école, il faut lui donner la possibilité d’innover, de modifier profondément son fonctionnement actuel ; ce n’est pas en lui demandant de s’organiser temporellement comme en 1887 que vous pourrez le faire. Il faut croire en la capacité d’inventer des formes nouvelles d’apprentissage chez les enseignants, mais il faut pour cela répondre à leur aspiration première : avoir du temps, pour travailler entre collègues, pour faire des recherches, pour construire des séquences d’apprentissage innovantes, pour étaler au mieux des besoins de leurs élèves toutes leurs séquences pédagogiques.
Revenez à un texte comme celui qu'avait écrit Lionel Jospin pour mettre en oeuvre la loi d'orientation de 1989, permettant d'organiser les temps scolaires sur 5 jours, du lundi au samedi, avec aucune des journées ne dépassant 6h scolaires et une organisation permettant que de vrais parcours éducatifs prennent place sur les temps libérés dont les contenus pourront entrer en synergie avec le projet d’école. Ainsi en une phrase, vous insistez sur l'importance de 5 matinées sur la semaine, chaque enfant pourra alors bénéficier au mieux de tous les temps composant ses journées et sa semaine.
Car pourquoi vouloir formater davantage les temps scolaires ? quel intérêt ? Vous vous privez juste de projets éducatifs de qualité ayant associé, dans leur construction, tous les acteurs de la communauté éducative, les enseignants, les parents, les animateurs et professionnels d'associations, les ATSEM, les élus. En avez-vous vraiment beaucoup actuellement ? Que craignez-vous qu'il arrive si vous laissez davantage de liberté dans l'organisation de ces cinq jours ? Avez-vous repéré que vos 8 demi-journées n'empêcheront pas une commune peu vertueuse, (ça existe, j'en ai rencontré !) de faire terminer la semaine le vendredi à 11h ? Je vous fais grâce ici de toutes les aberrations que j'ai déjà vues avec les 9 demi-journées, qui pourtant avaient été imposées pour empêcher les enseignants de s'octroyer des après-midi. Mais est-ce mieux quand on ne fait qu'une heure quarante le mercredi matin ? Savez-vous que des communes ont obtenu le droit de ne faire qu'une heure vingt de pause méridienne, pour ne pas perturber le transport scolaire ?
Jacques Julliard, qui vous a écrit une lettre dans Marianne, vous demande de n'écouter que votre courage. J'avais quant à moi voici 15 mois demander à Vincent Peillon d'avoir de l'audace. J'ai envie de vous dire, faites preuve de bon sens, des organisations sur 7 demi-journées réparties sur 5 jours fonctionnent depuis plus de 20 ans, les personnes qui font tourner ces organisations sont-elles masochistes ? ou détestent-elles à ce point leurs enfants qu'elles leur imposent un fonctionnement inadéquat pour leur bien-être ? Pensez-vous que si vous autorisez une telle ouverture toutes les communes s'empresseront d''utiliser la possibilité de libérer deux après-midi en ne se préoccupant pas de ce qu'elles feront avec ces après-midi ? Sachant que les parents sont évidemment avant tout en attente de prises en charge des enfants ?
Mais il est vrai que depuis quelques temps je me pose sérieusement la question de l’ambition que vous avez, au ministère de l’éducation nationale, pour notre école publique. Je rappelle par exemple que les écoles privées sont totalement libres de mettre en place ou pas cette réforme, et si elles le font, elles le peuvent sous la forme qu’elles veulent.
J’ai été auditionnée par la mission du Sénat le 26 février dernier, j’avais posé cette question à la sénatrice qui m’interrogeait à la suite d’un paragraphe que je lui avais lu. En effet j’avais retrouvé une interview d’un de vos proches experts intitulée « en quoi la science aide à la réforme des rythmes scolaires » dans laquelle il disait : « La politique de réaménagement des temps scolaires nous impose une réflexion sur l’école et ses objectifs, sur les rôles respectifs qui incombent aux différents responsables de l’éducation. Il ne s’agit pas de décider de façon péremptoire que telle matière doit être proposée à telle heure, tel jour, mais seulement de réserver les moments où l’élève apprendra le mieux et de déterminer qui sera responsable de ces apprentissages présents dans toutes les disciplines figurant encore aujourd’hui aux programmes officiels de l’école. Il importe donc, avant une refonte des aménagements des temps de vie des enfants de préciser quelle est la part respective dans leur éducation, des enseignants, des parents, des responsables des activités péri et extra-scolaires ».
Quand on connaît toutes les craintes de certains syndicats d’enseignants quant à la municipalisation de l’école, lire une telle interview d’un des experts qui vante la réforme sur les vidéos du ministère interroge forcément sur ce que veut réellement faire de l’école ce ministère ; d’autant que je n’ai pas eu de réponse à ma question posée à la sénatrice.
Si votre ambition est bien de redonner à l’école publique son rôle de formation de tous les futurs citoyens à qui on aura permis d’accéder à un esprit critique leur permettant de s’autodéterminer dans les choix de vie qu’ils auront à faire demain, il vous faut revoir le texte, pour libérer l'organisation des temps scolaires de la façon la plus intéressante pour les enfants, mais permettre aussi que les associations et autres secteurs de l'animation puissent participer à la construction d'un projet éducatif ayant du sens pour ouvrir les enfants à des activités vers lesquelles ils n'iraient pas spontanément tout en leur prouvant qu'ils ont des potentialités n'attendant qu'à se dévoiler. Un tel projet, construit de façon partenariale avec les enseignants et les parents, permettra vraiment que la refondation de l'école se mette en route.
Pour tous nos enfants, je vous en remercie.
[1] Appel pour une chronopsychologie anti-gourou- Revue Éducation – pp. 19-23 – N° 37
[2] Autre temps, autre école , Impacts et enjeux des rythmes scolaires. Essai broché-08/05
[3] L’aménagement des rythmes scolaires : une politique nationale territorialisée ou l’émergence de politiques de territoires ? Ville École Intégration n° 117 - juin 1999 © MENRT, CNDP 1999
[4] BO n° 18 du 2 mai 1991 et spécial n° 9 du 3 octobre 1991