Voici des arguments pour expliquer pourquoi je parle de conditionnement des enfants quand on leur impose la Méditation de Pleine conscience dans les écoles.
Pourquoi suis-je critique quant à l’installation de la Méditation de Pleine conscience dans les écoles ? Pourquoi parlè-je de conditionnement chez les enfants ?
Suite à un post que j’ai fait concernant une tribune il m’a été demandé pourquoi je suis critique. Certains m’ont même fait remarquer qu’ils l’utilisent régulièrement sans que cela ne pose problème.
Je voudrais tout d’abord dire que je ne me permets pas de comparer ce qu’on impose à des enfants et les choix que font certains adultes pour eux.
Comme l’écrivent les canadiens, on parle dans ce cas de Mindfulness, soit Pleine conscience, Pleine présence, Présence attentionnée. Ce sont « Autant de termes qui définissent le fait d’intentionnellement porter attention au moment présent, sans y apporter de jugement critique. » Ces auteurs canadiens ont analysé les arguments de deux experts de la faculté de médecine de Montréal qui « remettent les pendules à l’heure », car ce mouvement prenant de l’ampleur, et se démocratisant, de nombreuses idées inexactes voire fausses se répandent.
Ces deux experts sont :
* Le docteur Hugues Cormier, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie, psychothérapeute, clinicien-chercheur en médecine préventive, intégrative et attentionnée, et instructeur au Centre ÉPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) et à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
* Le docteur Nicholas Chadi, professeur adjoint de clinique au Département de pédiatrie, pédiatre spécialisé en toxicomanie et médecine de l’adolescence, et chercheur au CHU Sainte-Justine.
Il serait aussi important de s’interroger sur la capacité de TOUS les enfants de méditer, car la Pleine conscience peut être vécue de deux façons, soit formelle soit informelle. Seule la formelle nécessite de prendre une positon et un temps pour méditer. L’informelle quant à elle, signifie simplement de porter son attention sur l’expérience présente, quelle que soit l’activité.
On prétend souvent que la Pleine conscience c’est se reposer, se relaxer. Voici ce qu’en dit le docteur Chadi. « Certes, la pleine conscience peut être une activité relaxante, mais elle demande tout de même un effort actif. Ce n’est pas mettre son ‘’cerveau à off’’, mais plutôt diriger son attention vers quelque chose de précis, comprendre et ressentir ce qui se passe dans le moment présent. En se concentrant sur quelque chose de spécifique, on active son cerveau, plutôt que de le relaxer. »
Autre idée reçue, il faut faire le vide. Voilà ce qu’affirme le docteur Cormier : « La pleine conscience n’est pas une suspension des pensées, c’est plutôt une suspension temporaire du jugement critique sur nos pensées. Elle invite à prendre conscience que nous aurons toujours des pensées qui viendront, mais il faut seulement les accueillir, savoir que c’est normal. Il faut développer une relation avec les pensées; rester sur le quai du train des pensées plutôt que d’embarquer dans ce train. »
Comment mener cela avec de jeunes enfants ?
Sur son site, Hélène Belaunde fait une analyse de l’essai de Ronald Purser, enseignant en Gestion à l’Université d’État de San Francisco, qui a publié dans The Guardian, en juin 2019, un essai, « la conspiration Pleine conscience ».
Pour lui, « si la Méditation Pleine conscience est basée sur des principes positifs, elle a aujourd’hui été intégralement récupérée par le capitalisme et utilisée par de nombreuses compagnies pour inciter leurs employés surexploités à se focaliser sur leur respiration plutôt que le combat pour leurs droits. »
Voici sa conclusion : « Pratiquer la Pleine conscience ne permet pas de critiquer ou remettre en question ce qui est potentiellement injuste, culturellement toxique ou écologiquement destructeur. Au contraire, l’impératif d’ « accepter les choses comme elles sont » tout en exerçant « une conscience de l’instant présent dénuée de jugement » fonctionne comme une forme d’anesthésie sociale, préservant le statu quo. »
Je ne lui donne pas tort. Ce pour quoi je m’autorise à dire que quand c’est imposé à l’enfant, on ne fait rien d’autre que le conditionner.
Hélène Belaunder, qui pratique comme elle le dit semi-régulièrement la Pleine conscience, conclut pourtant ainsi son article : « Ceci ne veut pas dire que la Pleine conscience – ou en tout cas, son incarnation contemporaine – est sans défauts. (…). Il y a des critiques légitimes à lui faire sur plusieurs points.
Il est vrai, par exemple, que la Pleine conscience est aujourd’hui présentée comme la solution magique qui résoud absolument tous les problèmes : en l’adoptant, nous sommes sensés réussir dans notre vie personnelle, professionnelle, sentimentale, sexuelle, et j’en passe. C’est sans doute un peu prématuré... savoir être attentif au moment présent est une excellente chose, mais ce n’est pas une potion magique.
Par ailleurs, la méditation ne réussit pas à tout le monde : dans certains cas, il semblerait même qu’elle empire les symptômes dépressifs ou anxieux (http://nautil.us/blog/the-problem-with-mindfulness) chez des patients. Prudence, donc.
Il y a peu, Sahanika Ratnayake publiait également sur Aeon une analyse (https://aeon.co/es- says/mindfulness-is-loaded-with-troubling-metaphysical-assumptions) sur les problèmes potentiels causés par la Pleine conscience : en insistant sur l’observation neutre, dénuée de jugement, de nos propres phénomènes mentaux, la méditation risquerait de nous détacher de nous-mêmes et nous empêcher de comprendre les raisons de notre souffrance.
Par ailleurs, les principes sur lesquels elle se base concernant la nature de l’être (à savoir, que l’être n’existe tout simplement pas) sont loin d’être évidents. ll est donc judicieux de garder une distance critique vis-à-vis de la Pleine conscience, et éviter de la voir comme une recette à taille unique qui permettrait de résoudre tous les problèmes du monde.
La Pleine conscience, après tout, est une pratique parmi d’autres, qui peut réussir à certains comme elle peut leur nuire. »
Cela ne concerne évidemment que les adultes, mais comment pourrait-on transposer une telle méthode chez les enfants sans prendre de risques ? Il existe bien d’autres techniques de relaxation, dans lesquelles l’enfant est acteur, pour ne pas imposer dans les écoles cette méthode qui annihile beaucoup de nos pensées propres et surtout ne développe pas notre jugement critique.
Je terminerai en reprenant un article publié le 23 avril 2019 sur Agence Science Presse, à savoir, « Trois critiques à la Méditation “Pleine conscience” ».
En particulier, je reprends quelques principes de leur conclusion qui me semblent intéressants concernant les enfants.
Cette conclusion reprend les arguments de Michael Lifshitz et Evan Thompson qui ont écrit un chapitre intitulé « What’s wrong with “the mindfulbrain »? Moving past a neurocentric view of méditation » dans un livre paru en 2019.
Il y a plusieurs problèmes associés à une conception de la méditation trop centrée sur le cerveau. On néglige ainsi l’influence du corps et tout le contexte social.
De récentes études ont par exemple montré que la position de notre corps influence son activité cérébrale. Être assis ou allongé sur le dos change l’activité cérébrale de base. On a même démontré que notre posture influence particulièrement l’activité de régions cérébrales justement associeeś à la méditation, comme le réseau du mode par défaut.
D’autres expériences ont montré comment le contexte social peut avoir des effets importants sur l’expérience subjective de la méditation.
L’une d’entre elles suggérait par exemple à la moitié d’un groupe de novices en méditation que celle-ci allait améliorer leur attention et à l’autre moitié qu’elle allait épuiser leurs capacités attentionnelles limitées.
Résultats : les participants du premier groupe qui avaient des attentes positives par rapport à l’attention ont effectivement amélioré leurs performances attentionnelles, et ceux du deuxième groupe les ont vues diminuer !
La signification que l’on donne à l’exercice de la méditation façonne ses effets subséquents sur notre pensée et même sur notre biologie.
Lifshitz et Thompson concluent leur article en appelant à une science de la méditation qui doit aller plus loin que la seule recherche des changements cérébraux associés. Car ce que la pratique méditative révèle, c’est justement que notre pensée et notre bien-être sont intrinsèquement liés à notre corps et à notre contexte écologique et social au sens large. Un contexte qui peut lui permettre autant d’être un outil d’émancipation et de remise en question qu’une soupape permettant d’endurer le système en place et ses méfaits. »
J’ai volontairement ignoré les critiques relatives au fait que l’introduction de cette technique au sein des écoles publiques contrevient aux principes élémentaires de la laïcité, mais également le fait que cette méthode trouve son origine dans une psychologie bouddhiste visant à développer des qualités universelles de présence attentive, de compassion et de sagesse.
Je milite quant à moi pour que l’école mette en place une pédagogie permettant de travailler coopérativement, qui aide tous les enfants à développer toutes leurs potentialités en leur donnant confiance en eux et en leur permettant de développer leur jugement critique tout en respectant les autres.
Je milite également pour que tous les enfants aient un vrai temps de repos, de relaxation, au moment de la pause méridienne, mais également des temps dans la journée pour « ne rien faire », leur permettant de développer leur créativité et leurs capacités d’observation, et leur apprennent à aimer s’ennuyer.
https://medecine.umontreal.ca/2019/11/20/5-mythes-sur-la-mindfulness/ https://helenebelaunde.com/2019/09/02/la-pleine-conscience-outil-oppressif-ronald-purser/