Rencontre parents de Lille
11 mars 2013
Claire Leconte
Tout d’abord je tiens à saluer l’initiative de Martine Aubry consistant à réunir tous les acteurs éducatifs qui ont un rôle à jouer dans la mise en place de cette réforme. En effet ces changements ne peuvent pas ne concerner que l’école, et l’expérience que j’ai des nombreux déplacements que je réalise depuis des mois partout en France me montre que ce choix de rencontrer tout le monde pour les associer à la réflexion à mener n’est pas le fait le plus courant des élus que j’ai rencontrés.
Il est important de se rappeler que le terme rythmes scolaires, qui est franco-français, est une évolution du langage totalement liée à l’évolution des connaissances scientifiques. L’idée que porte ce terme est qu’il est important que les emplois du temps scolaire respectent le mieux possible les besoins connus du point de vue des rythmes biologiques des enfants. Parmi ces rythmes biologiques devant être respectés, il est celui du rythme veille-sommeil qui est particulièrement important. Ce rythme circadien révèle le fait qu’il existe une interaction permanente entre la veille et le sommeil, celui-ci a bien un rythme qui lui est propre, et génétiquement programmé, mais il est aussi dépendant de la « pression de sommeil » exercée par la veille, ce que l’on a coutume d’appeler « la bonne fatigue ». Celle-ci est liée à l’ensemble des activités réalisées au cours de sa journée par l’enfant, soit autant ce qui se passe pour lui à l’école, en classe qu’en dehors de l’école et en dehors de la classe.
Un pédiatre très connu, Guy Vermeil, avait écrit en 1976 un ouvrage qu’il avait intitulé « la fatigue de l’écolier », mais en 2001, il déclarait qu’il choisirait aujourd’hui un autre titre tant disait-il, les sources de fatigue sont à rechercher dans certaines erreurs éducatives, notamment dans les insuffisances de sommeil.
Les travaux de recherche que je mène au sein des écoles confirment qu’un travail d’informations, pour le moins, est à réaliser auprès des familles pour qu’elles prennent bien conscience du rôle important qu’elles ont à jouer dans le respect nécessaire de la régularité du rythme veille-sommeil de leur enfant, régularité bien plus importante que la durée irrégulière due à des grasses matinées peu intéressantes qualitativement parlant.
Mais on ne peut que constater également que les ruptures répétées au cours de la semaine, et principalement les longues ruptures, ont un effet délétère sur cette régularité qui a des incidences évidentes sur les capacités d’apprentissage des enfants. D’où l’importance de supprimer la semaine de 4 jours, unique au monde il faut bien le dire (à ceci près que le canton de Genève était aussi à 4 jours mais a procédé en 2011 à une votation dont le résultat a décidé le gouvernement à passer à 4 jours et demi à la rentrée 2013).
Par rapport à ce rythme veille-sommeil, un autre moment que la nuit est important, c’est celui qu’on appelle classiquement la pause méridienne. Ce moment a lieu dans la journée à un moment particulier du rythme circadien, et c’est bien, comme son nom l’indique, une pause qu’il est nécessaire de mettre en place. Il faut donc pouvoir procurer aux enfants, lors de ce creux de vigilance, un moment de décontraction, de relaxation, de repos même, de « ne rien faire » pour lui permettre de rêver, ce qui lui permettra de retrouver ensuite le niveau d’attention nécessaire pour profiter des activités qui lui seront proposées, qu’elles soient scolaires ou non scolaires. Ce niveau, bien que n’atteignant jamais celui du matin, réapparait à la fin d’une pause qui aura duré environ deux heures, au-delà de ce délai on constate souvent un énervement plus proche de l’excitation que de l’attention.
Chez les plus jeunes enfants, c’est vraiment le moment où il faut pouvoir leur offrir une sieste réparatrice qui doit démarrer dès la fin du repas, sans laisser de période d’excitation se mettre en place.
Autre point très important de la mise en œuvre de cette réforme, qui concerne tout le monde, c’est d’éviter au maximum l’émiettement des temps, tout à fait improductifs pour les enfants.
Un psychologue bien connu pour avoir beaucoup travaillé sur les rythmes chez l’enfant, Paul Fraisse, a toujours démontré que la durée apparente des tâches décroit à mesure que les activités sont moins morcelées, c’est à dire avec des changements les moins nombreux possibles. Il montrait également que plus une tâche a d’unité et plus elle va paraître intéressante, plus elle renforce la motivation. C’est dire que, quelles que soient les activités concernées, scolaires ou non scolaires, c’est bien leur unité et leur continuité qui permettront que les enfants s’y intéressent et leur donnent du sens. Et c’est cette continuité qui leur permettra de valoriser des acquis faits en classe à travers les activités non scolaires qu’ils seront amenés à faire, dans de bonnes conditions.
Quant à Bachelard, il montre à quel point il est important de parler de richesse et de densité pour les temps plutôt que de parler uniquement de durée.
C’est donc bien une réorganisation complète des temps de vie des enfants, réorganisation pour laquelle chaque acteur de l’éducation - parmi lesquels les parents sont les tous premiers -, a un rôle à jouer, temps de vie dont font partie les temps scolaires ; c’est ce qui permettra de mieux adapter les méthodes d’enseignement et les objectifs aux besoins de chaque élève mais aussi à leurs compétences différenciées.
La mise en cohérence des activités se déroulant pendant les temps scolaires avec celles réalisées au cours des temps non scolaires, cohérence possible grâce à un projet éducatif global, permettra à la fois de renforcer l’estime de soi et la confiance en soi chez chaque enfant, par la mise en évidence de compétences jusque là ignorées, parce que celles-ci ne sont pas propres aux seuls acquis scolaires. Mais cela n’est possible que si les activités réalisées hors des temps scolaires ont suffisamment de temps pour s’exercer, c’est-à-dire surtout pas en les émiettant un peu chaque jour. Un après-midi libéré, pour le moins, consacré à ces activités permet à la fois de valoriser les activités ainsi construites mais aussi de répondre favorablement à cette volonté de continuité éducative indispensable au développement harmonieux de l’enfant.
Mais c’est bien aussi un tel réaménagement qui permettra à tout enfant de retrouver le plaisir d’aller à l’école et celui d’apprendre, et pourra même lui donner envie de poursuivre une activité nouvelle pour laquelle il a ainsi pu se découvrir une passion. Ce d’autant plus si ces activités sont assurées par des professionnels qualifiés et bien formés.
Enfin une réorganisation complète des temps scolaires grâce à une matinée de classe supplémentaire, qui plus est plus fortement encore si on accepte d’allonger substantiellement ces matinées, moments connus de grande disponibilité cognitive chez les enfants d’école primaire, permettra enfin de répondre aux attentes de deux pédiatres, Debré et Douady, qui dès 1962 regrettaient que les emplois du temps scolaires tels qu’ils sont organisés, ne permettent nullement la triple alternance chaque jour nécessaire entre le travail et le repos, entre le mouvement et l’immobilité et entre le rationnel et l’imaginaire, insistant de plus sur le fait que les activités artistiques sont tout aussi importantes que les rationnelles dans le développement de l’enfant.
Nous avons pu montrer que permettre que sur les matinées ait lieu l’ensemble des disciplines scolaires, les maths, le français, mais aussi l’EPS, les arts plastique, la musique, la langue vivante, etc, permet que cette alternance soit réalisée, améliore la disponibilité aux apprentissages des enfants et modifie le regard de l’enseignant sur chacun de ses élèves, ce qui, disent-ils, leur permet de retrouver les fondamentaux de leur métier.
Chacun sait qu’un enseignant bien dans son métier et bien dans sa classe, ne peut que développer des interactions au sein de sa classe renforçant un climat de travail serein au bénéfice de chaque enfant.
Notons ici que contrairement à ce que l’on pense souvent, cette matinée plus longue profite largement aux enfants de maternelle, les expériences réalisées à Lille depuis plus de 16 ans, montrent que cette longue matinée permet de ne pas bousculer les enfants dans leurs apprentissages, de donner à chacun d’eux le temps qui lui est nécessaire. Comme le disent les enseignants qui travaillent ainsi depuis 1996, leurs élèves sont très concentrés le matin pour les apprentissages, d’autant plus qu’ils savent que les après-midi sont moins chargés quand il y a l’école, et ludiques avec les activités. Ainsi, il est aisé de les solliciter et de leur demander une concentration soutenue durant la matinée, à tel point que les résultats scolaires des enfants, même dans un quartier dit « en difficulté », sont très prometteurs.
Avec l’alternance des différents moments dans la matinée, il n’y a pas de phénomène de lassitude. De plus dans les classes des petits et des moyens, les heures de siestes nécessaires s’étalent beaucoup moins sur les heures scolaires, et les enfants ont donc plus de temps de classe et de moments de sollicitation des différents adultes qui s’occupent d’eux.
Il est sans doute utile de profiter de cette réforme pour développer dans certains quartiers des classes passerelle permettant de respecter le rythme propre de chaque enfant de cet âge et de mettre en place la continuité éducative dès le plus jeune âge. Un travail entre enseignants et professionnels de la petite enfance ne peut que servir l’intérêt des tout petits et les amener à s’intégrer à l’école sans stress, ni pour eux ni pour les parents.
C’est donc un travail partenarial qui doit être mené entre l’éducation nationale, les parents, les associations partenaires de l’école et la collectivité si on veut qu’un tel projet soit construit d’abord et avant tout dans l’intérêt de chaque enfant.
C’est bien ainsi que la co-éducation, tellement nécessaire au mieux-vivre des enfants, pourra s’installer, se développer, et devenir un état de fait.
Mais il faut être conscient qu’une telle construction nécessite du temps, du temps de réflexions, du temps de concertation, du temps de montage ensemble. Comme le disait Cervantès, dar tiempo al tiempo, repris par le Président Mitterrand qui réclamait de donner du temps au temps.