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Spécial adolescents-Les temps des collégiens, quelles propositions ?
Spécial adolescents-Propositions pour le collège
Intervention à la table ronde du SNES
6 avril 2011 - Claire Leconte
In « Redonner un avenir au collège »
ADAPT-SNES Éditions
4ème trimestre 2011 – Atelier 5
Comment organiser l’ensemble de la scolarité ? Quels rythmes scolaires ?
pp. 221-234
Bien que la table ronde s'intitule "les rythmes scolaires", je ne vous parlerai pas de ces rythmes et vais même m'efforcer de vous démontrer qu'ils n'ont pas de sens du point de vue scientifique. Certes un grand débat a été lancé sur ce thème par le ministère de l'éducation nationale. Mais qui en attend quoi ? Lors de la médiatisation de la mise en place du comité de pilotage en juin dernier, j'ai rédigé un article qui a circulé sur les sites syndicalistes entre autres, que j'ai intitulé, "comment surmédiatiser un problème mal posé pour mieux masquer la destruction programmée de l'école publique républicaine", tant il m'est apparu malhonnête de faire un tel tapage médiatique autour de cette question alors qu'en même temps on apprenait que des documents circulaient au sein des rectorats et des inspections académiques pour donner de bonnes idées aux recteurs et inspecteurs relativement à la meilleure façon, non pas de marcher, mais de supprimer les postes considérés comme étant "en trop" ! On ne sait que trop que toutes les dernières réformes au sein du lycée ont eu comme objectif premier de répondre positivement à un souci d'économie, si ce n'est de rentabilité de l'institution scolaire. Il ne m'a donc pas semblé que le souci des rythmes de vie des enfants et des adolescents était prépondérant dans la tête de nos ministres.
Je ne conteste pourtant nullement le fait que les emplois du temps imposés aux élèves sont totalement aberrants et ne respectent en rien leurs besoins, connus, du point de vue de leurs rythmes biologiques. L'un des problèmes est que le sujet est toujours abordé à partir des "rythmes scolaires", alors que cette entité n'a pas de sens scientifiquement parlant.
Un événement est dit rythmé quand il se reproduit, à l'identique, en fonction d'une certaine périodicité. Qu'est-ce qui, à l'école, peut prétendre se reproduire à l'identique ? qui plus est, selon une périodicité repérable ? Les journées ne se reproduisent pas à l'identique, les semaines sont parsemées de pauses, les périodes inter-vacances sont très irrégulières, selon les zones dans une même année, et dans une même zone selon les années différentes. On ne peut donc absolument pas mettre en évidence de périodicités régulières, de plus, on ne peut qu'espérer que les enfants eux-même changent chaque jour, car s'ils sont là pour apprendre, le fait même d'apprendre quelque chose modifie de fait leurs comportements. C'est donc un concept que je n'utilise pas, en revanche je réclame depuis très longtemps qu'on se préoccupe davantage d'une révision massive des emplois du temps scolaire. J'ajoute de plus que de ne parler que des rythmes scolaires renvoie la responsabilité du malaise admis par tous au seul établissement scolaire, alors que parler des rythmes de vie des enfants et adolescents signale que tout un chacun a une responsabilité dans le respect de ceux-ci.
Curieusement il est très difficile de trouver des données officielles sur le nombre d'heures qu'un collégien ou un lycéen passe dans son établissement, mais on peut avoir une estimation moyenne annuelle autour de 1050 heures en lycée et 900 heures au collège, ce qui revient à dire que l'élève ne passe que 12% de son temps de vie au lycée en classe, et 10% de son temps de vie au collège en classe (en ne tenant compte que des horaires strictement scolaires, en classe devant un enseignant) : ce qui prouve le peu d'intérêt de ne chercher qu'à aménager les "rythmes scolaires" (étant entendu que le temps de vie d'un élève est = à 365 x 24 soit 8760 heures).
S'intéresser au respect des rythmes de vie des enfants nécessite de ne pas s'en tenir qu'à une réflexion sur des emplois du temps, comme c'est trop souvent le cas. Il n'est qu'à regarder les expérimentations menées et mises sur le devant de l'affiche. Nous en reparlerons. Ceci pour dire qu'en regardant l'ensemble du programme de cette matinée, je me suis dit qu'il est tout à fait dommage que les ateliers se fassent en parallèle alors que je vais démontrer que tous les contenus de ces ateliers ont quelque chose à voir avec le thème qui nous intéresse ici, car tout est dans tout, et ce n'est pas juste une façon de dire les choses.
Comment changer raisonnablement le fonctionnement de l'école en ne s'interrogeant pas sur la formation des enseignants ? sur la responsabilité des familles ? sur celle des enfants eux-mêmes ? sur l'implication que les politiques, au sens noble du terme, doivent avoir dans un projet de révision des rythmes ?
Reprenons ces points les uns après les autres :
Qu'en est-il de la formation des enseignants ? dans l'ancien système, nous déplorions déjà le manque évident de formation concernant la connaissance des élèves, des enfants plutôt devrai-je dire. Comment fonctionne un pré-adolescent et un adolescent face à des apprentissages ? Que sait l'enseignant qui est en face de lui de son développement ? de ses caractéristiques liées à l'âge ? quasiment rien, et il en saura moins encore avec la mastérisation telle que mise en place. Que sait-il des rythmes biologiques de cet élève, tout à fait particuliers étant donné son âge et sa maturation ? Qui les prend en considération ? Si on ne s'intéresse qu'à l'un d'entre eux, particulièrement important pour la qualité de vie, à savoir le rythme veille-sommeil, voilà ce qu'on sait de ce rythme en ce qui les concerne et ce qui devrait être fait pour le respecter au mieux (Leconte, 2011) :
Le sommeil est un besoin vital de tout un chacun, son besoin apparaît régulièrement au cours du nycthémère (ryhme quotidien jour/ nuit) et se manifeste par une baisse de température repérable facilement (le "frisson" que chacun peut ressentir en fin de journée alors que la température de la pièce n'a pas changé et auquel on ne prête pas attention parce qu'on a souvent mieux à faire : se coucher à ce moment là permettrait en fait un endormissement rapide puis une nuit de qualité). Cette température centrale correspond à une horloge biologique importante et se doit d'être en phase avec celle qui régule le rythme veille-sommeil : elle baisse en fin de journée quand les portes du sommeil sont prêtes à s'ouvrir, elle passe par un minimum entre 3 et 5 heures du matin et commence à nouveau à remonter une à deux heures avant l'horaire d'éveil spontané (pas provoqué) du sujet. Il serait très important d'apprendre aux adolescents à mieux connaître leur propre rythme. Par ailleurs, la nuit se découpe en plusieurs cycles de sommeil qui ne sont pas identiques du point de vue de leur architecture interne tout au long de la nuit : le début de nuit est surtout composé de sommeil lent profond qui est le sommeil indispensable à la récupération de la fatigue physique, musculaire, c'est aussi dans cette première partie de la nuit qu'est secrétée l'hormone de croissance chez l'enfant, que chez tous, se façonnent nos défenses immunitaires et qu'ont lieu les fonctions de renouvellement, de reconstruction et de réparation de la peau (le pic des divisions cellulaires épidermiques chez l'homme adulte a lieu aux alentours d'une heure du matin). La fin de nuit quant à elle, (jusqu'au moment de l'éveil spontané) est riche en sommeil paradoxal connu pour son rôle actif dans la mémorisation d'informations acquises au cours de la veille qui précède. C'est donc bien une nuit complète quotidiennement qui permet de récupérer et d'être en forme, qui plus est une nuit se déroulant sur des horaires réguliers.
Or l'adolescent, avec souvent un accord tacite de ses parents, fait le plus souvent fi des recommandations qu'on peut lui faire à ce propos. Il prend plaisir à se coucher tard, en passant ses dernières heures de soirée devant un (ou des) écran(s) lumineux agressifs qui créent ce qu'on appelle aujourd’hui une pollution lumineuse. Or l'obscurité est indispensable à la secrétion d'une hormone dite du sommeil, à savoir la mélatonine, qui ne peut être secrétée que quand il fait noir. Par exemple un travail de l'équipe de Claustrat en 1995, a montré que la lumière a un effet inhibiteur sur la secrétion de mélatonine quand elle est appliquée pendant un créneau de trois heures au cours de la phase sombre. Plus on retarde de ce fait l'endormissement, et plus on attaque une partie du sommeil qualitativement importante. Chez les adolescents, qui contrairement à ce qu'ils pensent souvent, ont besoin de plus d'heures de sommeil que les jeunes adultes à cause des dépenses énergétiques liées à leur puberté, à leurs charges de travail de collégiens et lycéens importantes, à leur croissance staturo-pondérale rapide, on constate un manque chronique de sommeil et un mal-être lié en grande partie au non respect de leurs horloges biologiques. De plus chacun d'entre nous a un besoin de sommeil génétiquement programmé, qui doit être respecté chaque jour, qui ne peut être compensé par des rattrapages plus ou moins efficaces le week end ou pendant les vacances.
Qui va oser s'affronter aux adolescents pour leur expliquer à quel point il est important pour eux de respecter ce rythme vital, tant pour être en forme à l'école que pour connaître une bonne qualité de vie ? Je travaille en direct avec des lycées professionnels dans lesquels ce problème est massif –et a des conséquences immédiates quand le lycéen est inattentif devant une machine dangereuse - et c'est bien un programme d'éducation à la santé que nous mettons en place avec l'infirmière de l'établissement, mais tout le monde doit se sentir responsable par rapport à ce problème, car il a de réelles répercussions désolantes. Les adolescents se couchent de plus en plus tard, phénomène de plus en plus souvent noté par les pédiatres chez les enfants aussi. Les chiffres montrent une réduction de 2 à 3 heures du temps total de sommeil chez les adolescents en trente ans, plus de 80% d’entre eux (en 5ème) se couchent après 22h la veille d’un jour de classe et la moitié d’entre eux passent plus de 3 heures par jour devant un écran de télévision ou d’ordinateur dont on connaît les effets néfastes sur la secrétion de mélatonine, 25% des élèves de 3e se couchent après minuit. On peut proposer de retarder l'heure d'entrée au collège et au lycée, pas avant 9 heures par exemple, d'autant plus qu'on sait que l'adolescence (entre 12 et 20 ans) est marquée par un retard de phase dans la secrétion de mélatonine, mais il ne faudrait pas que cela conduise l'adolescent à se coucher plus tard encore, il faut une vraie éducation permettant aussi de responsabiliser l'adolescent par rapport à cette nécessité de respecter ses besoins.
Autre domaine dont on doit se préoccuper pour changer avec bonheur l'organisation des temps scolaires, la pédagogie et les contenus des enseignements.
Il est étonnant de constater la méconnaissance de la plupart des enseignants français de travaux de recherches réalisés dans les années 1980 alors que les canadiens les proposent comme solutions à un réaménagement des temps scolaires dans leur rapport au ministère de l'éducation (Gourd, 2001) : il s'agit des recherches sur le temps mobile réalisées par Aniko Husti (1985) qui écrivait : "une des dimensions les plus périmées de l'enseignement secondaire est certainement son utilisation du temps, puisque l'institution éducative a adopté et imposé tout au long de notre siècle le même concept de temps, tout en fixant continuellement des objectifs nouveaux". En effet l'analyse des travaux y compris d'historiens de l'éducation montre que tout se passe comme si le temps scolaire, organisé autour d'heures fixes (l'heure de cours) et de la répétition hebdomadaire d'un même schéma, apparaît comme une donnée immuable, quasi naturelle, qu'on doit accepter comme telle et qui ne justifie pas qu'on y réfléchisse. Aniko Husti a donc exploré par la recherche la possibilité de considérer le « temps » comme une variable intrinsèque de la démarche pédagogique, de concevoir une utilisation de durées variées et de rythmes multiformes pour l’enseignement. Son expérimentation s’est déroulée de 1980 a 1985 dans quinze collèges et cinq lycées et de 1985 à 1988 dans dix collèges et cinq lycées. Les professeurs ont disposé d’une heure supplémentaire hebdomadaire. Les objectifs majeurs visés étaient les suivants : repenser le sens du temps dans l’enseignement, créer une adéquation entre les buts et l’utilisation du temps, moderniser l’organisation, améliorer l’efficacité de l’enseignement par une meilleure utilisation du temps. L’emploi du temps devient variable par le travail en équipe de professeurs appartenant à des disciplines différentes, qui fonctionnent en « binôme »ou en « trinôme » et peuvent ainsi permuter eux-mêmes leurs horaires, les adapter à la spécificité de leur enseignement ainsi qu’aux élèves. C'est ainsi que des échanges de services prévus sur plusieurs semaines permettent à un moment donné de l'année à l'enseignant de français de disposer de plages de temps allongées quand il veut travailler sur le montage d'une pièce de théâtre par exemple. Les évaluations ont montré que la mise en oeuvre des démarches pédagogiques plus actives pour l’élève, qui se déroulent dans les durées et rythmes non plus uniformes mais variés, ont eu des effets très positifs sur la manière d’apprendre et d’enseigner soit autant sur les élèves que sur les enseignants et par rebond, sur la fatigabilité de tous. (voir site de François Muller, 2008).
Une formation pertinente des enseignants doit aussi leur apprendre à tenir compte du coût cognitif des activités qu'ils proposent à leurs élèves, coût lié aussi bien à la pratique pédagogique mise en oeuvre qu'aux contenus de ces activités. Une activité mathématique peut être moins coûteuse qu'une activité dite d'éveil (voir par exemple certaines tâches d'art plastique) si elle se fait dans les conditions requises pour ce faire : une tâche réalisée en groupe construit intelligemment est beaucoup moins coûteuse que la même tâche réalisée individuellement, une tâche permettant une manipulation est moins coûteuse qu'une tâche nécessitant une écoute attentive importante, une tâche correspondant aux compétences acquises par l'élève est moins coûteuse que celle qui nécessite un nouvel apprentissage. Se dire que dès qu'on est obligé de demander à l'élève de "faire bien attention", il est évident qu'alors la tâche sera coûteuse cognitivement. S'obliger à organiser les séquences d'apprentissage au sein de l'emploi du temps en tenant compte de ces données permet d'utiliser toute heure de la journée à moindre coût et donc de respecter les besoins des élèves du point de vue de leurs rythmes biologiques.
Il est aussi important d'accepter de réaliser un emploi du temps qui permet de distribuer les apprentissages et non pas de les masser, cela veut dire qu'il faut utiliser la plus large extension de la semaine possible, ce qui demande évidemment certains sacrifices aux enseignants : ne pas chercher à se faire un emploi du temps sur quelques jours de la semaine seulement. La psychologie a montré qu'un apprentissage distribué est bien mieux acquis que le même, massé, il est vrai que faire un peu chaque jour est bien préférable à faire beaucoup le même jour.
La formation des enseignants doit encore leur apprendre à donner une cohérence dans les enseignements divers suivis par l'élève dès son entrée au collège. Cet élève passe d'une école où toutes les disciplines relevaient d'un même enseignant à une école où cet enseignant change en fonction de la discipline abordée, le passage ne se fait pas forcément aussi facilement qu'on le croit, et ne pas y travailler dès le début du collège, le préparer même avant cette entrée au collège, peut rapidement entraîner un désinvestissement de cet élève qui vivra très mal chaque heure de cours. Or les psychologues ont montré que plus une activité est morcelée, plus elle paraît durer longtemps, que plus elle est intéressante, plus elle paraît brève, dans les deux cas c'est la motivation intrinsèque qui permet d'échapper à ce sentiment de morcellement et au désintérêt pour ce qu'on fait. On doit apprendre aux futurs enseignants à donner une cohérence, à aider les élèves à trouver du sens dans chacune des activités qui leur sont proposées. Ils doivent apprendre à faire acquérir aux élèves une capacité de transfert inter-apprentissages, inter-acquisitions, ce qui, contrairement à ce que certains peuvent croire, ne vient pas spontanément. Ils doivent encore apprendre à construire des cours permettant de développer chez l'élève son éducation au choix, sa motivation intrinsèque liée au développement de son auto-détermination : tout cela ne vient pas non plus spontanément, cela requiert aussi davantage de travail en équipe de la part des enseignants, et surtout une formation de qualité ce qui ne semble pas aller dans le bon sens avec la mise en place de la mastérisation.
Revoir les modalités traditionnelles d'évaluation est important aussi pour développer cette motivation, un élève qui sait qu'il a droit à l'erreur, car celle-ci est considérée comme formative, fera plus volontiers le travail qui lui est demandé surtout s'il peut constater qu'il ne permettra pas de diminuer son estime de soi : les aide-t-on toujours réellement à constater que leurs efforts sont récompensés ? leur montre-t-on suffisamment que les progrès qu'ils ont faits, même s'ils ne transparaissent pas visiblement dans la notation, sont pris en considération dans l'évaluation ?.
Apprendre à faire de manière presque automatique des observations de classe, ce qui permet d'éviter des erreurs pédagogiques comme par exemple intervenir auprès d'un élève qui "bouge sur sa chaise" alors même qu'il est en train de réaliser une tâche : le "arrête de bouger comme ça, comment veux-tu faire attention ?" met l'élève en situation de double tâche qui, de fait, ne lui permet plus de consacrer toute son attention à la tâche. En effet les psychologues ont montré que cette activité motrice est le fait de comportements dits collatéraux (qui n'ont aucun rapport avec l'activité en train de se dérouler mais révèlent un besoin moteur nécessaire à la concentration actuelle), qui sont des comportements spontanés, automatiques, inconscients, qui apparaissent machinalement mais qui permettent à leurs auteurs de rester concentrés : leur demander de cesser de bouger leur impose d'y penser, ("je ne dois plus bouger"), et les met alors en porte à faux vis à vis de l'attention qu'ils doivent consacrer à leur activité. Une observation de classe acérée permet de constater que cette activité a demandé beaucoup d'efforts cognitifs, on doit la laisser s'achever et .. passer ensuite à autre chose qu'on sait être beaucoup moins coûteux cognitivement.
Comme on le voit, on est bien loin de ce qu'on appelle "rythmes scolaires", alors même que toutes ces propositions vont dans le sens d'un meilleur respect des rythmes de vie des élèves. Je ne peux approuver les expériences actuellement mises en oeuvre par le ministère, comme par exemple cette idée consistant à réduire l'heure de cours à 45 mns, soit-disant pour gagner du temps (!!).
Gadbois, en 2004, (In Leconte, 2011) écrivait : « Le temps n’est pas simplement un cadre formel, vide ; c’est un cadre dans lequel viennent s’inscrire des actions mettant en jeu des ressources physiques et mentales dont le déploiement est soumis à des dynamiques qui leur sont propres. La durée d’un cycle n’a de sens que rapportée à la nature des opérations qu’il faut inscrire dans cette durée. [...] D’où s’ensuit que le lien entre les caractéristiques temporelles de la situation de travail et leurs effets, au plan de l’efficience comme sur celui des conséquences pour l’opérateur, n’est ni mécanique, ni direct. En effet, confrontés aux exigences temporelles de leur travail, les opérateurs répondent par des stratégies de régularisation, visant à parvenir au meilleur compromis possible entre les objectifs de production, leurs objectifs propres et le coût qu’implique l’activité qu’ils ont à déployer pour atteindre ces objectifs. La question essentielle est ainsi de reconnaître l’espace dans lequel s’inscrivent ces stratégies de régulation et de définir une organisation du temps de travail qui garantisse aux travailleurs des marges de manœuvre suffisantes pour qu’ils puissent aboutir à des compromis satisfaisants ».
L'élève est bien un travailleur, ce que des psychologues ergonomes ont démontré, on doit donc appliquer ce constat de Gadbois aux temps des collègiens et des lycéens. Et rappelons ce que disait Freinet, "L'enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel" jusqu'à oser affirmer que « la fatigue des enfants est le test qui permet de déceler la qualité d'une pédagogie. ».
Il faut encore oser rappeler que rien dans l'organisation actuelle des temps scolaires ne correspond à des acquis sociaux pour les enseignants par exemple : rappelons nous que la journée chômée au milieu de la semaine, (le jeudi à l'époque de la création de l'école obligatoire passé au mercredi en 1972 après qu'ait disparu le samedi après midi d'école en 1969), n'a existé que pour satisfaire l'évêché qui réclamait une journée pour l'instruction religieuse. Rappelons encore que le maintien des deux mois de vacances l'été est pour partie dû à un décret datant des années 1950 dont l'objectif était de ne pas avoir à revaloriser le salaire des enseignants et qu'une compensation leur serait donnée en conservant deux mois de vacances, ce qui permettait alors de les payer sur 10 mois dans l'année, rémunération étalée sur les 12 mois de l'année. Il est donc nécessaire de se défaire d'a priori qu'on pourrait avoir comme de considérer qu'il faut absolument une interruption dans la semaine, ce qu'on ne trouve pratiquement dans aucun autre pays.
C'est pour toutes les raisons évoquées ci-dessus que je n'approuve pas les expérimentations réalisées dans une centaine de collèges (mais pour seulement une classe dans chacun de ces collèges) consistant à libérer les élèves dès 11h pour leur repas, à un moment de très bonne qualité de la vigilance, pour les remettre en cours de 11h30 à 13h, soit pendant une période à la fois post-prandiale et correspondant à ce qu'on appelle la pause méridienne, milieu du rythme circadien, qui nécessite une prise en considération de la baisse importante de vigilance physiologique bien connue à ce moment là, qui nécessiterait même un temps vrai de repos, de relaxation. Ces collégiens sont ensuite pris en charge dans des activités, qui avaient d'abord été annoncées comme principalement sportives, ce que l'on ne peut que regretter. Outre le fait qu'il est particulièrement important de donner aux collégiens et aux lycéens la possibilité à travers de telles activités de se découvrir une passion et peut-être aussi de découvrir sous d'autres formes (comme par exemple jouer avec des miroirs pour mieux comprendre les principes de la symétrie, faire des montages électriques avec des piles, participer à la création d'un journal, créer une station de radio), des concepts enseignés en classe de façon un peu plus abstraite, il faut tenir compte que tout élève n'est pas forcément un sportif en puissance. Par ailleurs il semble aussi très important de réorganiser les emplois du temps sur une journée de telle manière que les moments connus comme de bonne qualité pour la vigilance, comme les matinées par exemple, puissent profiter à toutes les disciplines, ne pas chercher à "caser" les heures d'EPS ou d'art plastique ou autres aux moments où on estime que les élèves ne seront pas au mieux de leur forme du point de vue attentionnel.
Autre situation considérée comme "indispensable à respecter", le découpage de l'année en 7/2. Sait-on pourquoi ce découpage a été préconisé ? C’est un simple calcul mathématique, sur 36 semaines annuelles, si on veut mettre cinq périodes de cours, on en arrive à 7 semaines pour chacune de ces périodes. Mais aucune étude, aucune recherche n'a jamais démontré que cette durée d'apprentissages est la meilleure pour une plus grande efficacité des élèves. J'affirme même qu'on ne peut considérer cela comme équivalent en hiver et au printemps !
Quant aux deux semaines considérées comme nécessaires pour toute période de petites vacances, qui sait d’où vient cette idée ? Dans les années 1980, les chronobiologistes comme Alain Reinberg (père de la chronobiologie en France) avaient démontré qu'un déphasage dans le temps pouvait créer une "désynchronisation interne". Cette désynchronisation résulte du fait que nos horloges biologiques, qui sont nombreuses, ne changent pas toutes de période à la même vitesse. Alors que l'horloge circadienne du rythme veille-sommeil a besoin d'environ 48 heures pour reprendre un nouveau rythme quand on a modifié ses horaires de sommeil, l'horloge de la température centrale, elle aussi circadienne, a besoin de 8 à 10 jours pour reprendre ce nouveau rythme, et la plupart de nos horloges réglant nos systèmes hormonaux ont besoin de 2 à 3 semaines. C'est dire que pendant environ 8 jours, nous fonctionnerons sur un certain rythme pour le rythme veille-sommeil alors que notre température continuera de fonctionner sur son rythme premier. C'est ce qui explique les malaises que l'on ressent quand on a subi un décalage horaire, alors qu'on croit pourtant récupérer puisqu'on dort. Ce décalage entre nos deux horloges provoque ce qu'on appelle la désynchronisation interne qui peut générer de nombreuses perturbations quand on laisse cette désynchronisation s'installer, ce qui n'est pas rare chez certains travailleurs postés. À cette même époque se développaient les travaux dans les écoles, puisque c'est à ce moment là qu'on a commencé à utiliser la terminologie "rythmes scolaires". Comme on pouvait constater que nombre d'enfants revenaient en classe, après 8 jours de vacances, plus fatigués qu'avant d'y partir, les chronobiologistes ont analysé cela comme étant le résultat d'une désynchronisation qui perdurait : celle-ci s'était installée au cours de ces 8 jours puisque les enfants, pour la plupart, en profitaient pour se coucher plus tard, mais leur température continuait sur son rythme propre durant toutes les vacances, et au moment où ils repartaient à l'école, cette dernière adoptait le nouveau rythme alors que celui de veille-sommeil reprenait le rythme attendu pour aller à l'école. C'est en fonction de ces constats qu'est apparue l'idée de proposer que ces petites vacances durent deux semaines, en considérant qu'alors la deuxième semaine servirait de repos puisque les horloges seraient de nouveau synchronisées. C’était, il faut le rappeler, une époque où les enfants allaient se coucher plutôt de façon raisonnable, ce qui n’est plus guère le cas actuellement. Et il faut entendre que cette récupération ne marche que si, sur cette deuxième semaine, les enfants reprennent le rythme qu'ils auront pour aller à l'école, sinon c'est à leur retour en classe, après deux semaines, que la désynchronisation s'installera, puisque la température aura toujours besoin de ses 8 à 10 jours pour revenir au rythme de base.
Qui donne ce mode d'emploi aux parents directement concernés par ce problème ? (voir in Leconte, 2011).
Une alternative à l’obligation d'imposer deux semaines de vacances ? Oui, ne rien changer du rythme de vie pendant la période de vacances, quelle que soit sa durée, continuer de se coucher à la même heure pour se lever à la même heure. Inentendable ? Je ne le crois pas, si on fait la preuve aux jeunes qu'ils profitent alors de leurs journées beaucoup plus efficacement, si on leur donne à savoir qu’une sieste vaut mieux qu’une grasse matinée, car le matin, la machine se met en route toujours à la même heure, en particulier la mise en route de la sécrétion du cortisol, hormone dite du stress. Le sommeil qui suit n’a plus la qualité de celui de nuit, et n’a plus non plus les mêmes fonctions, alors que celui de la sieste qui complète éventuellement un manque de sommeil de nuit est réellement récupérateur.
Et on ne peut oublier les recommandations à faire aux élus qui ont en charge les bâtiments scolaires et les espaces occupés par le périscolaire. Ainsi est-il admissible de relever 85dbs de bruit de fond au sein d'un restaurant scolaire ? Ne pas aménager ces temps de repas, par l'installation d'un self par exemple, ne peut que provoquer un énervement peu profitable à la relaxation attendue pour cette période, quand on demande aux élèves de manger toujours plus vite car il y a plusieurs services ou parce qu'ils n'ont qu'à peine une heure entre le dernier cours de la matinée et le premier de l'après-midi. De même il faut que ces élus acceptent de revoir la problématique des transports scolaires, même s'ils doivent y consacrer plus de budget qu'ils ne le font.
Ce ne sont rien d'autres que des choix politiques, l'éducation de nos enfants est une priorité parmi les priorités, cela s'inscrit dans un choix de société.
On doit évidemment re-réfléchir à l'organisation des temps scolaires des collèges et des lycées, mais on ne doit pas pour ce faire, en rester à des solutions considérées comme miraculeuses qui, en fait, n'apporteront aucun changement dans les comportements des élèves si on ne tient pas compte de toutes ces recommandations. Ce qui est certain, c'est qu'il faut absolument réduire la durée des journées de classe, on doit étaler sur la semaine le nombre de jours de classe, on doit maximiser les matinées, on ne doit pas ouvrir les établissements avant 9 heures, on doit aménager toutes les pauses, comme les récréations, de telle manière qu'elles correspondent à ce qu'elles doivent vraiment être, une pause. On doit travailler sur la formation des enseignants y compris continue, pour que de nouvelles connaissances puissent être acquises et mises au service de l'enseignement mais aussi pour que des modules de formation communes permettent que tous les acteurs éducatifs devant travailler par la suite en partenariat comprennent mieux les fonctionnements des autres, on doit travailler avec les familles pour que leur responsabilité soit engagée, pas uniquement avec le versement des allocations familiales (!!), qu'ils comprennent le rôle qu'ils ont à jouer et qu'ils ne se sentent plus exclus de l'école. Et il faut travailler avec tous les partenaires extérieurs, comme ceux relevant de toutes les organisations proches de l'éducation nationale, relevant par exemple de l'éducation populaire, car libérer des temps chaque jour pour mettre en place d'autres activités que du strictement scolaire ne peut se faire qu'en tenant compte de la nécessité de donner de la cohérence aux différents temps à travers lesquels les collégiens et les lycéens passent. On voit ainsi je l'espère, que cette réflexion sur les temps scolaires et les rythmes de vie des élèves va bien au-delà d'une seule réflexion sur une révision des emplois du temps actuellement en place et devrait même prendre place dans une réflexion interministérielle.
Quelques références pour aller plus loin :
Aniko Husti : Le temps mobile, INRP, 1985 et La dynamique du temps scolaire, Hachette Education, 1999
Claire Leconte : Des rythmes de vie aux rythmes scolaires : quelle histoire ! Presses Universitaires du Septentrion, Collection Savoirs mieux, Mai 2011.