Aménager les rythmes scolaires, bonne entrée pour refonder l’école ?
Pour la conférence du 7 avril à Mirecourt
Qu’attend-on de l’utilisation de la terminologie « Rythmes scolaires » ? Est-ce le terme le mieux approprié pour réorganiser le fonctionnement de l’école afin de la rendre plus à même de répondre aux besoins de chaque enfant ?
Je démontrerai que ce terme est apparu en France à un certain moment de l’histoire, scolaire mais aussi scientifique, ce qui explique que c’est une terminologie franco-française qui n’a aucun équivalent ailleurs dans le monde.
Mais je démontrerai aussi qu’avoir inscrit dans la mémoire collective cette terminologie, sans d’ailleurs l’avoir associée à son histoire, a aujourd’hui des effets contre-productifs puisqu’on ne peut que constater que vouloir uniquement « aménager les rythmes scolaires » laisse sceptiques tous ceux qui croient en une refondation de l’école.
Or c’est bien un mésusage du terme rythme qui apparaît ici : on dit d’un événement qu’il est rythmé si cet événement se reproduit à l’identique avec une certaine périodicité. D’une part, rien dans le scolaire ne se reproduit à l’identique, nous devons même l’espérer ! D’autre part, un rythme biologique est génétiquement programmé, c’est dire qu’on ne peut l’ « aménager ». Un rythme se synchronise ou se désynchronise et la désynchronisation des rythmes a des effets immédiats sur le bien-être et sur l’efficience.
C’est pourquoi depuis de très nombreuses années, avec l’expérience de chercheur en chronobiologie qui est la mienne aujourd’hui, je demande qu’on renonce à l’utilisation de ce terme pour s’intéresser à l’aménagement des temps de vie des enfants : cet aménagement a du sens puisqu’on doit quand même avoir en tête que le temps strictement scolaire ne représente que moins de 10% du temps de vie des enfants, c’est dire qu’il est anormal de ne s’occuper que de ces 10% de temps en abandonnant complètement les 90% d’autres temps.
C’est dire encore qu’on ne peut bien aménager le temps scolaire qu’en s’interrogeant sur la cohérence possible à donner entre ce temps et les autres temps de l’enfant.
C’est encore partir de l’idée qu’on ne peut parler d’aménagement des temps qu’en s’intéressant également aux contenus de ces temps, aux pratiques et méthodes mises en place pour occuper ces temps, quels qu’ils soient, scolaires ou non scolaires. Ce qui nécessite de se préoccuper de la qualité de tout intervenant éducatif et donc de sa formation.
C’est enfin dire qu’on ne pourra réaménager, au mieux des besoins des enfants, ces temps scolaires que si on accepte de les détacher du découpage horaire tel qu’on le fait en se préoccupant d’encadrer chaque demi-journée jusqu’à prétendre qu’une demi-heure en moins chaque jour changera fondamentalement les choses pour les élèves comme pour les enseignants.
Mon expérience de chercheur travaillant avec et pour le terrain m’a appris que, pour réussir à débloquer les résistances au changement qui sont le fait de tout humain, mais sont particulièrement prononcées chez les enseignants, il faut avant tout leur apporter de la nourriture intellectuelle nécessaire à l’acquisition des connaissances indispensables à avoir quant au développement physiologique des enfants. En effet, méconnaître l’évolution des rythmes biologiques chez l’enfant d’école primaire fait commettre des erreurs quant aux capacités d’apprentissage de ces enfants.
De plus on constate rapidement que ces connaissances finissent par parler aux enseignants qui se sentent tout autant concernés par le contenu de ces connaissances pour eux-mêmes. Il devient alors possible d’échanger avec eux sur leur propre bien-être, en particulier sur la qualité de leur vie professionnelle.
Cette entrée est d’autant plus intéressante qu’elle permet de ne pas culpabiliser la seule école quant au mal-être des enfants : on comprend assez vite que les parents sont très concernés par ce discours, et que les seuls changements d’horaires scolaires n’auront pas les apports attendus si par ailleurs rien n’est fait pour respecter la régularité du rythme veille-sommeil des enfants.
On peut, à partir de là, présenter le type d’organisation qui nous semble le plus à même de permettre d’innover pédagogiquement et qui soit capable de mettre en interactions les temps strictement scolaires avec les temps non scolaires qui viennent les compléter.
On peut alors discuter avec les enseignants de ce qui les concerne directement, à savoir comment organiser un ordonnancement pertinent des séquences pédagogiques, portant sur l’ensemble des disciplines du programme scolaire, mais aussi comment profiter des autres temps pour construire chez les enfants des stratégies de transfert d’apprentissage si important dans l’ensemble de leur parcours scolaire puis universitaire mais aussi dans leur vie quotidienne.
Le partenariat permettant de la co-production éducative devient alors évident et c’est à partir de cette évidence que l’idée de construction d’un projet éducatif prend naissance. On permet alors une vraie évolution de l’école, qui ne restera pas fermée sur elle-même, cherchera à s’ouvrir sur la Cité, ce qui permettra un changement fondamental dans les relations entre les enfants eux-mêmes, entre les enfants et les adultes et entre les enfants et les structures de leur quartier qu’ils ne sont pas habitués à fréquenter.
C’est ainsi que j’ai participé à la construction d’un tel projet dans un groupe scolaire lillois voici 17 ans, projet qui vient d’être reconduit dans un autre groupe scolaire de Lomme, ville de la communauté urbaine de Lille. Ces projets n’ont rien à voir avec un seul aménagement des « rythmes scolaires », nous ne nous sommes pas contentés d’enlever une demi-heure chaque jour au temps scolaire pour simplement y placer des activités, gestion qui, dans la plupart des cas, consistera juste à boucher les trous jusqu’à la sortie de l’école. L’école relève bien toujours de l’Éducation nationale, l’identité propre à chacun des différents acteurs éducatifs n’est absolument pas en péril.
Nous avons eu l’ambition d’aménager les temps de vie des enfants, ce qui a conduit la ville de Lomme à signer une charte entre le DASEN, la directrice de la cohésion sociale, la directrice de la CAF, le maire et les parents.
Et nous voyons bien là une première étape dans la refondation de l’école. Notre espoir est de généraliser largement ce modèle d’aménagement, ce à quoi différents élus et moi-même travaillons actuellement.
Claire Leconte, Des rythmes de vie aux rythmes scolaires : quelle histoire ! Presses Universitaires du Septentrion, coll. Savoirs Mieux, mai 2011